L'exemple du mois : application des données pour la surveillance de la qualité de l'eau

Quelle est l’importance de la surveillance de la qualité de l’eau ? 

Pour que l'eau soit considérée comme propre à la consommation humaine, et pour que l'eau contribue au bon fonctionnement des écosystèmes, ses conditions physiques, chimiques et biologiques doivent répondre à certaines exigences. La qualité de l'eau est mesurée par plusieurs facteurs tels que la concentration en oxygène dissous et en bactéries, la quantité de sel (ou salinité) et de matières en suspension dans l'eau (turbidité). Dans certains plans d'eau, la concentration d'algues microscopiques et les quantités de pesticides, d'herbicides, de métaux lourds et d'autres contaminants peuvent également être mesurées pour déterminer la qualité de l'eau. Malgré l’existence de méthodes scientifiques permettant d’évaluer la qualité de l'eau, il est toujours très difficile de dire si l'eau est "bonne" ou "mauvaise", c'est pourquoi la détermination de la qualité est faite en fonction de l'usage de l’eau ou du besoin. 

Comment la qualité de l’eau est-elle surveillée de l’espace ? 

L'eau possède des caractéristiques de réflectance spécifiques (mesurées pour différentes longueurs d'onde de la lumière, appelées spectre lumineux), basées sur les propriétés de diffusion et d'absorption de ses constituants optiquement actifs. Ces caractéristiques sont directement ou indirectement liées à des paramètres pertinents de la qualité de l'eau (indicateurs) tels que la turbidité et les matières en suspension, le phytoplancton et son principal pigment, la chlorophylle, les détritus, la salinité, le phosphore total (PT), la température, le pH et la matière organique colorée dissoute. Grâce à la connaissance de leurs caractéristiques optiques, il est possible de retrouver des valeurs quantitatives concernant la concentration de ces différents constituants de l'eau, en se basant uniquement sur la réflectance de la lumière mesurée par les capteurs satellites. Différents capteurs montés sur des satellites et d'autres plateformes, comme des avions, mesurent ainsi la quantité de rayonnements réfléchie par la surface de l'eau pour différentes longueurs d'onde. 

Mesure de la quantité de matière en suspension dans l’eau (turbidité) 

La turbidité de l'eau peut être mesurée par satellite et déterminée en mesurant la rétrodiffusion de la lumière entre 450 et 800 nm. Il s'agit d'un paramètre clé de la qualité de l'eau, qui est lié linéairement à la diffusion de la lumière par les particules organiques et inorganiques présentes dans l'eau. Elle est également liée au total de matières en suspension pour les valeurs de turbidité faibles à modérées. L'unité de mesure est l'Unité de Turbidité Formazine (FTU), qui est similaire à l'Unité de Turbidité Néphélométrique (NTU). Cette unité correspond à 0,0118/m de rétrodiffusion à 550nm. 

Capteur combiné/à bande unique  Capteur
Rapport entre le bleu (0.40–0.50 μm) et le rouge (0.60–0.70 μm)  Rapport sol et PROBA-CHRIS, IRS-LISS-III 
Rapport entre le vert (0.50–0.60 μm) et le rouge (0.60–0.70 μm)  Landsat 5-TM, AISA 
Rapport entre le proche infrarouge (NIR) et le rouge (0.60–0.70 μm)  MODIS, ALOS-AVNIR-2 
Proche infrarouge (0.75–0.90 μm)  SPOT, Landsat 7-ETM+, CASI
Rouge (0.60–0.70 μm)  Landsat 7-ETM+, Landsat 5-TM, HICO
Vert (0.50–0.60 μm)  Landsat 5-MSS, IRS-LISS-III

Chlorophylle-a, indicateur de prolifération d'algues nuisibles (phytoplancton et cyanobactéries : phycocyanine, phycoérythrine) 

Les proliférations algales, qui sont souvent dues à des phénomènes d'eutrophisation dans les eaux douces, sont directement liées à la concentration de la chlorophylle-a (chl-a), qui est essentielle à la photosynthèse. La chl-a est utilisé dans la photosynthèse oxygénique et se trouve dans les plantes, les algues et les cyanobactéries. La chl-a, bien que refléchissant principalement le vert, absorbe la plus grande partie de l'énergie des longueurs d'onde de la lumière violet-bleu et orange-rouge, dont la réflectance fait apparaître la chlorophylle en vert. Les principales caractéristiques de diffusion-absorption de la chl-a sont une forte absorption entre 450 et 475 nm (bleu) et à 670 nm (rouge), et la réflectance atteint un pic à 550 nm (vert) et près de 700 nm (NIR). Le pic de réflectance près de 700 nm et son rapport avec la réflectance à 670 nm ont été utilisés pour développer une variété d'algorithmes pour extraire la chl-a dans les eaux turbides (Gitelson 2008). 

La chlorophylle, mesurée en [µg/l], est fournie comme une mesure qui est linéairement liée à l'absorption spécifique du pigment à 440nm, 1μg/l de chlorophylle correspondant à 0,035/m d'absorption du pigment. 

Le 1er mai 2016, le satellite Sentinel-2A a identifié une prolifération d’algues à proximité de la côte belge. Grâce aux capacités multispectrales de l'instrument principal de Sentinel-2, l'absorption de la chlorophylle-a et donc sa concentration ont pu être déduites, révélant un taux important de phytoplancton près du port d'Ostende.  Images : données Copernicus Sentinel modifiées (2016), traitées par RBINS. 

Capteur de combinaison de bandes spectrales  Capteur
Rapport entre vert (0.50–0.60 μm) et rouge (0.60–0.70 μm) Landsat 5-TM, Landsat 5-MSS, Landsat 7-ETM+, SPOT, IRS-LISS-III
Rapport entre infrarouge proche (NIR) et rouge  Landsat 5-TM, HICO, PROBA-CHRIS, MODIS, MERIS, ALSA
Rapport entre vert et bleu (B2/B1)  Landsat 5-TM, Landsat 7-ETM+, MERIS, PROBA-CHRIS, EO-1 Hyperion
Rapport entre bleu (0.40–0.50 μm) et rouge (0.60–0.70 μm)  Landsat 5-TM, Landsat7-ETM+
Bleu (0.40–0.50 μm)  Landsat 5-TM
Rouge (0.60–0.70 μm) PROBA-CHRIS, Landsat 5-TM, CASI
Vert (0.50–0.60 μm) Landsat 5-TM

Les matières dissoutes colorées et les substances non-organiques 

Les matières organiques dissoutes colorées (MODC), également appelées gelbstoff et gilvin, sont des substances organiques hétérogènes, biogènes, hydrosolubles et naturelles, de couleur jaune à brune (Aiken 2005). Il y a un très fort chevauchement dans la fréquence d'absorption de ces MODC et de la chlorophylle à la longueur d'onde 443nm. Les données de télédétection sont une méthode efficace pour estimer la concentration de MODC à grande échelle spatiale et temporelle, avec l'hypothèse que les MODC covarient avec la chlorophylle (Hoge et al 1995). 

Pour estimer l'absorption totale (ABS) on mesure l'absorption de la lumière par les matières organiques et inorganiques particulaires et dissoutes. La contribution relative des absorptions inorganiques varie en fonction des propriétés optiques inhérentes spécifiques (SIOP), qui sont évaluées dans les algorithmes d’extraction. L'unité est l'absorption à 440nmin [1/m]. Le produit de l'absorption totale comprend l'absorption des composants organiques et inorganiques, qui ne sont pas présentés séparément sur ce portail. Dans les études sur la couleur de l'océan, les propriétés d'absorption des MODC, comme par exemple leurs coefficients d'absorption à 440 nm, sont généralement utilisées pour représenter la concentration des CDOM. 

Capteur de bandes spectrales  Capteur
Bande bleue unique (0.40–0.50 μm) Landsat 5-TM, EO-1 Hyperion, SeaWiFS + MODIS-Aqua, HICO, CZCS
Rapport entre bleu (0.40–0.50 μm) et vert (0.50–0.60 μm)  ALOS-AVNIR-2, MODIS, SeaWiFS
Rapport entre vert (0.50–0.60 μm) et rouge (0.60–0.70 μm)  MODIS, HICO, EO-1 ALI, EO-1 Hyperion, SeaWiFS, MERIS

Température de l’eau 

La température de l’eau est un paramètre important pour identifier les processus physiques et biochimiques qui se produisent dans l'eau et les interactions air-eau, car la température régule les processus physiques, chimiques et biologiques dans l'eau. Les bandes infrarouges thermiques permettent de mesurer la quantité de chaleur radiative émise  dans l’infrarouge par la température radiative des masses d'eau. 

Les mesures à distance de la température de l'eau peuvent être obtenues à l'aide d'un capteur qui détecte le rayonnement thermique (gammes d'ondes 3-5 et 8-14 μm) émis par les 0,1 mm supérieurs de la surface de l'eau (Atwell 1971Anderson 1983). Le rayonnement émis (3-14 μm) est un critère très utilisé notamment en océanographie où des observations quotidiennes de la température régionale et globale de la surface de la mer sont effectuées à partir de satellites avec une précision de 0,5 °C. Dans les zones nuageuses, les techniques de micro-ondes passives sont utilisées avec une limite de précision d'environ 1,5-2 °C. 

Les capteurs satellites couramment utilisés pour mesurer la température de surface de la mer sont la bande TIR (Thermal Infrared – Infrarouge thermique) des capteurs Landsat (TM, ETM+ et OLI/TIRS), la bande TIR de MODIS, la bande TIR d'ASTER, la bande TIR d'AVHRR, la bande TIR de MODIS/ASTER aéroporté (MASTER) et les radiomètres à micro-ondes (MWR). 

Salinité, oxygène dissous et phosphore total  

La salinité de la surface de la mer est un facteur important pour déterminer la densité de l'eau de mer, et qui peut être surveillé par télédétection à l'aide du satellite Moisture and Ocean Salinity (SMOS). Il utilise comme instrument principal le radiomètre imageur micro-ondes à synthèse d'ouverture (MIRAS) à des longueurs d'onde de 20-30 cm. Aquarius est un autre capteur fournissant la salinité de la surface de la mer à une résolution globale. 

Le taux de phosphore total indique la disponibilité des nutriments végétaux dans les plans d'eau, pouvant favoriser l'eutrophisation. Le phosphore total est surveillé à l'aide d'une combinaison de bandes spectrales : bleu (0,45-0,51 μm) et vert (0,50-0,60 μm), et intégration des bandes rouge (0,60-0,70 μm) et verte (0,50-0,60 μm) disponibles sur les capteurs Landsat 5-TM, MODIS, PROBA-CHRIS, CASI et SPOT. 

Comment puis-je accéder à des données spatiales sur la qualité de l’eau ? 

Une grande variété de données peut être utilisée pour la surveillance de la qualité de l'eau, comme le montre les tableaux ci-dessus, qui comportent une grande variété de bandes spectrales et de capteurs. Grâce au portail mondial d'information et de renforcement des capacités sur la qualité de l'eau récemment publié par l'UNESCO-IIWQ, il est désormais possible de surveiller la qualité de l'eau sans avoir à calculer les données brutes. 


Portail mondial d'information et de renforcement des capacités sur la qualité de l'eau IIWQ  

Le portail mondial d'information et de renforcement des capacités sur la qualité de l'eau IIWQl a été créé le 23 janvier 2018 par le Programme Intergouvernemental de l’UNESCO (PHI). Il offre des informations en temps réel quant à la qualité de l’eau, et fournit également des données satellitaires de ces 30 dernières années. 

Le portail fournit une interface conviviale qui permet à l'utilisateur d'établir des stations virtuelles et d'obtenir des rapports et des séries de valeurs chronologiques pour les paramètres de qualité de l'eau qui l'intéressent. Le portail est développé pour estimer des paramètres tels que la turbidité, la chlorophylle-a, l'indicateur des proliférations algales nuisibles, la profondeur du signal, l'absorption totale, l'absorption organique et la température de surface de la mer grâce à l'utilisation de capteurs satellites. 

La résolution pour les paramètres tels que la turbidité est souvent inférieure à 10 mètres puisqu’elle provient de satellites commerciaux. Une résolution globale de 90 mètres est disponible pour tous les paramètres, tandis que l'UNESCO a fourni sur le portail des séries chronologiques d'une résolution de 30 mètres pour l'année 2016.   

Le portail mondial d'information sur la qualité de l'eau et de renforcement des capacités pour la surveillance de la qualité de l'eau est utilisé dans le cadre de la directive-cadre sur l'eau qui soutien les autorités gouvernementales au niveau local, régional et national, mais également dans le cadre de l'industrie du traitement de l'eau, de l'agriculture, de la gestion des rivières, des usines de dessalement, de la surveillance des dragues et du tourisme. 

Limites de la surveillance de la qualité de l’eau 

La télédétection s'est avérée être une technique adaptée à l'étude des variations spatiales et temporelles de la qualité de l'eau. Cependant, il existe un certain nombre de contraintes qui nécessitent d’être prises en compte avant de mettre en œuvre ces techniques. Les modèles développés à partir des données de télédétection nécessitent une calibration adéquate et une validation à l'aide de mesures in situ, et ne peuvent être utilisés qu'en l'absence de nuages dans le cas des capteurs optiques. 

Les limites de résolution spatiale, temporelles et spectrales de nombreux capteurs optiques actuels peuvent limiter l'application des données de télédétection pour évaluer la qualité de l'eau. Il faut s'attendre à des mesures ambiguës, résultant de pixels mixtes terre-eau, si la plus petite étendue (diagonale la plus courte) d'un plan d'eau est inférieure à 5 fois la résolution spatiale d'un produit. Par exemple, l'étendue minimale des masses d'eau optiquement profondes pour les produits  de résolution 30m devrait être de 120m. L'agrégation spatiale et/ou temporelle de mesures d’une masse d'eau représentant un seul pixel peut améliorer le taux d'échantillonnage temporel. 

Sensibilité des produits : la concentration en produits sensibles tels que la chlorophylle varie en fonction des capteurs satellites et de leurs caractéristiques spécifiques, telles que la sensibilité radiométrique ou spectrale. Par exemple, la fiabilité pour différencier la turbidité et surtout les niveaux de chlorophylle diminue avec les capteurs satellites de plus de 30 ans (par exemple Landsat 5). La détection des proliférations d'algues nuisibles n'est actuellement évaluée que par les capteurs satellites actuels de haute qualité tels que Landsat 8 ou Sentinel-2 et -3.